Après avoir réalisé le
premier film concernant le manga dessiné et écrit
par Masamune Shirow en 1989, Mamoru Oshii
réalise le second film concernant
les aventures de la Section 9. Pour ceux
qui ne connaîtraient pas l'oeuvre
de Masamune Shirow, je vais vous faire
un rapide récapitulatif. Tout
d'abord Ghost In The Shell se déroule
dans le futur, plus précisément
en 2029. A ce moment l'informatiques
et les réseaux en découlant
ont pris une place de plus en plus importante
dans la vie des Hommes. Chaque parcelle
du monde civilisé est désormais
connectée à un réseau
et les cerveaux eux même n'en sont
plus exempts. Le piratage informatique
a donc pris valeur de crime mettant en
jeu la vie de milliers de personnes tout
autant que l'économie elle même.
A cet effet, au japon fut créé la
Section 9 une agence gouvernementale
chargée de la sécurité intérieure
du japon. Cette agence très secrète
dirigée par le non moins secret
Aramaki oeuvre dans l'ombre afin de protéger
le gouvernement japonais des pirates
et des menaces terroristes diverses ayant
emergées au début du XXIème
siècle.
La section 9 c'est surtout une équipe, anciens mercenaires, ceux ci furent
recrutés par Aramaki pour constituer l'essence de la nouvelle agence.
Ainsi apparaissent le major kusanagi ancienne militaire au passé trouble
et inconnu, dont le corps est entièrement cybernétisé, lui
permettant d'effectuer des prouesses physiques et mentales surhumaines. Puis
viens Batou, homme a la stature imposante spécialisé en armes lourdes
très proche du Major. Ishikawa le hacker spécialisé dans
l'infiltration électronique, le renseignement et la liaison entre les
membres d'équipes et Togusa un ancien policier qui fut recruté a
la création de la section 9. Dans le premier film, ils affrontent un dangereux
pirate nommé le Puppet Master qui se révèlera être
une Intelligence Artificielle et qui se mêlera au Major Kusanagi avant
sa disparition. Voici pour le premier film, qui traite uniquement d'une partie
des deux premiers tomes du manga. GITS est une oeuvre abyssale, complexe au graphisme
et au scénario fouillés. Complots et manipulations politiques ne
sont pas rares pour déstabiliser la toute jeune section 9 qui doit toujours
risquer plus pour découvrir la vérité au sujet des diverses
menaces de ce début de millénaire.
Cyberpunk
Ce second film, suite plus ou moins directe du premier, se focalise principalement
sur Batou et Togusa. L'agence peine a exister sans la présence du Major,
elle se retrouve malgré tout confrontée a une série d'étranges
meurtres perpetrés par des gynoïdes. Une nouvelle série
de ces machines semble en effet souffrir d'un disfonctionnement. Devant l'impuissance
de la police locale, la section 9 est chargée de l'affaire. Batou et
Togusa vont devoir plonger dans les milieux de la pègre et de la prostitution
pour en démêler l'écheveau d'une sombre conspiration.
Toujours servi par les musiques somptueuses de Kenji Kawaii, le film paraît
bien plus sombre que son prédécesseur malgré des couleurs
plus chaudes. La musique tantôt mélancolique, angoissante ou oppressante,
accompagne l'enquête étrange dans laquelle sont impliqués
nos deux héros. Que se cache t'il derrière cette série
de meurtres ? Pourquoi ces machines pourtant incapables du fait des trois lois
d'asimov, de faire du mal à un être humain, tuent elles sans discernement
?
Ghost in the shell: innocence est un film résolument sombre, le réalisateur
y mêle habilement le polar et le cyberpunk. On se rapproche énormément
d'une ambiance a la Gibson (Necromancien, Lumière Virtuelle, Mona Lisa
S'éclate, Comte Zéro) père du cyberpunk, dont les livres
content eux aussi l'histoire d'une humanité aux prises avec la technologie
et ses propres démons. Le film est bien moins orienté action
que le premier opus, de nombreuses références philosophiques
et religieuses viennent émailler le dialogue entre Nietzsche et la Bible.
Les personnages font montre d'une grande intelligence et pourtant ils cotoient
folie et décadence. Mamoru Oshii ne prend pas de gants avec le spectateur,
il le plonge dans ce monde avec ses personnages et semble vouloir le noyer
entre la beauté spectaculaire des Mégapoles inondées de
l'or du crépuscule et l'obscurité des ruelles d'une ville constamment
plongée dans l'obscurité. Chaque image de ce film est un tableau,
chaque ligne de dialogue une énigme, on se prend a ne plus rien vouloir
comprendre et seulement vouloir surnager au milieu de cette vague d'images
a la beauté saisissante. Le tout accompagné, comme je l'ai dit
plus haut, d'une bande son hallucinante. Un véritable hommage au cyberpunk
et au polar noir.
Résurgence
Ce second opus s'inspire aussi des
derniers tomes du manga de Masamune Shirow
: "Man Made Machine". Le monde
semble avoir changé du tout au
tour en quelques années, les Mégacorporations
semblent avoir englouti les gouvernements
et les milliards d'être humains
ignorants des dangers inconnus qui les
cotoient semblent être devenus
des fourmis dans l'ombre des immenses
gratte-ciels. Les machines semblent avoir
pris le pouvoir sur l'homme et pourtant
Mamoru Oshii semble vouloir nous dire
a travers ce film que l'humanité en
nous reste inviolable. Que l'instinct
de survie reste plus fort que tout.
Je ne crois pas m'avancer beaucoup en disant que Mamoru Oshii a eu pour parti
pris sur ce film de nous faire cotoyer la folie dans tout ses états.
Une partie du film vous plonge même dans un rêve sans fin dont
vous aurez bien du mal a vous remettre. Innocence surpasse ainsi beaucoup de
films de ces dernières années inspirés de la Cyber-génération
dont nous sommes issus. Nous ne voyons pas les implants cybernétiques,
et pourtant nous utilisons des portables facilement piratables, notre vie est écrite
sur des pages entières sur le réseau. Ou le numérique
cotoie la vie, la folie cotoie la raison, tout semble basculer dans un maelstrom
infini de vide...
L'humanité semble dépérir, rien ne semble émerger
de cette décadence si ce n'est un chaos indescriptible et codé dans
les mailles du réseau. Mamoru Oshii nous conte aussi une apocalypse,
la notre celle que nous vivons. L'onirisme du film cotoie souvent le cauchemar
de la réalité, lorsque l'on s'élève au dessus de
la masse informe et grouillante de l'humanité en proie a l'anonymat
le plus total et où pourtant règne l'individualisme, on voit
un paysage d'une beauté a couper le souffle. L'enfer et le paradis semblent
en effet se cotoyer dans cette oeuvre. Et l'enquête semble être
une longue descente aux enfers afin de trouver Eurydice mais Orphée
tournera t'il la tête pour y voir disparaître son aimée
dans l'oubli ?
Un renouveau ?
Mamoru Oshii réalise donc ici
l'une des plus belles pièces du
cinéma d'animation japonais. Une
oeuvre a la fois technique de par son
animation léchée, son esthétique
froide, hallucinante de beauté,
mais aussi un scénario qui dans
l'absolu n'est pas d'une grande complexité mais
dont Mamoru Oshii a su en tirer toute
la substance. Une oeuvre introspective
qui demande un effort intellectuel tout
autant qu'une remise en question. Sans
ambage il aborde des sujets durs, qui
nous concernent ou nous concerneront
tous dans un futur proche. Mais Ghost
In The Shell : Innocence n'est pas son
prédecesseur, il est même
d'une certaine manière son antithèse,
là ou le premier film était
dynamique, une envolée scénaristique,
une véritable course jusqu'a sa
fin brutale, le second opus est beaucoup
plus contemplatif, les longs dialogues
et la lenteur omniprésente pourraient
décourager ceux qui n'ont été charmé que
par l'action du premier film et n'ont
pas su en retirer l'essentiel, c'est à dire
l'histoire. Les autres seront charmés
par la beauté de l'histoire, sa
profondeur tout autant que sa simplicité.
Beaucoup ont dit qu'Innocence n'était
qu'une masturbation intellectuelle, une
sorte de Godard sauce science fiction,
qu'Oshii avait alourdi son film afin
d'en cacher les failles. Et pourtant
je ne crois pas avoir décelé de
failles dans ce second opus a part peut être
la pauvreté d'esprit des critiques
qui n'y ont rien entendus. A noter aussi
la présence de nombreux clins
d'oeil a Avalon dans le film. Je puis
assumer sans me tromper que ceux qui
ont aimé Avalon adoreront Ghost
In The SHell Innocence, ne reste plus
qu'aux autres a abandonner le cyberpunk
et surtout Ghost In The shell. Cela me
rappelle pour beaucoup les détracteurs
de la trilogie Matrix qui n'ayant rien
compris a l'histoire pestaient contre
un film trop mou et débile disaient
ils. Je pense que le spectateur pour
tout oeuvre quel quelle soit se doit
de faire un effort. Car l'Oeuvre d'Art,
qu'elle soit filmée, dessinée, écrite
ou chantée réclame du spectateur
son action, sa réflexion qu'il
soit pris dans le jeu et avance de lui
même dans l'histoire. Que ceux
qui croient que tout doit leur être
remis sans compromis passent donc leur
chemin, Ghost In The Shell, oeuvre sans
compromis, est un film qui restera obscur
a ceux qui refusent de jouer le jeu,
pour les autres le plaisir sera total.
Mamoru Oshii réalise donc ici
l'une de ses oeuvres majeures, surpassant
même la qualité du premier
opus sans tout en le complétant.
Shiguré Takaiwa